Fonds travaux obligatoires dans les copropriétés: l'exemple du Québec.

L'exemple du Québec

Le fonds de prévoyance dans les copropriétés québécoises

Depuis 1994

, la loi québécoise oblige tous les syndicats de copropriétaires à prévoir, parmi les charges communes, une contribution des copropriétaires à un « fonds de prévoyance », afin
d’accumuler progressivement les sommes qui seront éventuellement requises pour financer les réparations majeures aux parties communes de l’immeuble, de même que leur remplacement.
La constitution d’un tel fonds est impérative. Elle n’est aucunement laissée à la discrétion du conseil d’administration ou des copropriétaires. De fait, la mise sur pied et la gestion d’un fonds de prévoyance est du ressort exclusif du conseil d’administration, qui doit procéder à une évaluation des coûts des réparations ou remplacement des parties communes, afin de faire cotiser les copropriétaires en conséquence. Le syndicat dispose ainsi, au moment venu, des sommes requises pour financer ces travaux.

La constitution d’un tel fonds de prévoyance vise d’abord à éviter que les copropriétaires présents au moment des travaux majeurs supportent seuls la détérioration causée par l’usure du temps, alors que les copropriétaires antérieurs n’auraient guère ou pas contribué. Il s’agit ainsi d’une mesure d’équité « intergénérationnelle » entre les copropriétaires successifs d’un immeuble.

Un fonds de prévoyance bien constitué est censé permettre d’éviter les appels de charges imprévus, qui sont souvent générateurs de difficultés financières pour certains copropriétaires et, par voie de conséquence, pour les syndicats.

Enfin, un tel fonds a pour conséquence de protéger l’investissement des copropriétaires contre une administration déficiente ou irresponsable, tout en les assurant d’habiter dans un bâtiment durable, maintenu en bon état. Cela s’inscrit dans le cadre d’un développement durable des immeubles détenus en copropriété.

Une saine gestion d’immeuble devrait, en principe, éviter que les copropriétaires subissent des appels de charges importants ou qui fluctuent constamment, pour l’exécution des grands travaux aux parties communes. Les grands travaux non provisionnés devraient constituer l’exception, plutôt que la règle.
Pour y parvenir, les syndicats doivent donc prévoir ces travaux, planifier leur exécution, apprécier leurs coûts et accumuler en conséquence les sommes qui seront requises, dans 10, 20 ou 30 ans.
Une telle appréciation requiert du syndicat une bonne connaissance de l’état de l’immeuble. Il doit donc dresser un inventaire des composantes et des parties communes de l’immeuble et établir leur condition. Seule une démarche ordonnée et planifiée permet d’assurer la réalisation du devoir premier du syndicat, soit celui d’assurer « la conservation de l’immeuble, l’entretien et l’administration des parties
communes ».
Les travaux visés par le fonds de prévoyance requièrent, de la part du conseil d’administration, une bonne planification qui passe par la confection d’outils de référence et la réalisation d’étapes importantes :

– la détermination des parties communes et de leur état;
– la planification prévisionnelle des travaux futurs;
– l’estimation des coûts des réparations majeures et de remplacement des parties communes;
– l’établissement d’un plan de financement;
– la mise à jour ponctuelle des prévisions.

L’inventaire des parties communes et la détermination de leur état se fait par l’entremise du certificat d’état d’immeuble et du carnet d’entretien.
Le carnet d’entretien et le certificat d’état d’immeuble sont des supports indispensables pour les professionnels chargés d’effectuer l’étude de fonds de prévoyance, qui servira au syndicat pour mettre en place le plan de financement des grands travaux futurs.
L’établissement des contributions au fonds de prévoyance est du ressort exclusif du conseil d’administration. Ceci assure une certaine permanence aux entrées de fonds. L’obligation de constituer un fonds de prévoyance « en fonction du coût estimatif des réparations majeures et du coût de remplacement des parties communes » requiert l’établissement d’un diagnostic de l’immeuble, la mise en place
d’un programme d’entretien, la confection d’une étude de fonds de prévoyance et la mise sur pied d’un plan de financement pour le fonds de prévoyance.
Naturellement, il faut s’attendre à des imprévus. Ainsi, les opérations ci-dessus se doivent d’être répétées, à intervalles réguliers, afin d’ajuster le tir, au besoin, de sorte que le fonds de prévoyance demeure suffisant, compte tenu des besoins de l’immeuble.

LA DISPONIBILITÉ DU FONDS ET SON UTILISATION
L’article 1071 C.c.Q. précise que le fonds de prévoyance est « liquide et disponible à court terme, affecté uniquement à ces réparations et remplacements. Ce fonds est la propriété du syndicat. »
Les sommes déposées dans le fonds de prévoyance doivent donc être déposées dans une banque, une caisse d’épargne et de crédit ou un autre établissement financier, où elles doivent demeurer liquides et disponibles à court terme, c’est-à-dire accessibles sur avis de 30 jours. Elles doivent être placées de façon conservatrice et sans risque, car il s’agit de la « réserve financière » de la copropriété.

Ces sommes sont la propriété exclusive du syndicat. Elles ne peuvent faire l’objet d’une saisie, suite à un jugement contre le syndicat, sauf s’il s’agit d’une dette née de la réparation de l’immeuble ou du remplacement des parties communes. De même, un copropriétaire qui vend sa fraction ne peut récupérer les sommes qu’il a versées dans le fonds de prévoyance, pendant toutes les années au cours
desquelles il a été copropriétaire.
Quant à l’utilisation des sommes détenues dans le fonds de prévoyance, l’article 1071 C.c.Q. spécifie qu’elles sont « affecté(es) uniquement à ces réparations (majeures) et remplacements. »
La loi ne prévoit toutefois pas d’obligation spécifique visant à empêcher que les sommes détenues dans le fonds de prévoyance ne soient utilisées incorrectement.

On rencontre parfois des copropriétés éprouvant des problèmes à financer des travaux majeurs, parce que les sommes ont été utilisées, en cours de route, soit pour combler un déficit annuel des charges courantes, soit pour financer des travaux qui ne relèvent pas du fonds de prévoyance (par exemple, changer la décoration intérieure du hall et des corridors).
Bien que l’esprit qui sous-tend l’obligation de constituer un fonds de prévoyance suffisant soit très clair, force est d’admettre que les copropriétaires n’appliquent pas toujours cet esprit de la loi, par manque de compréhension ou de volonté.
Il y a lieu de préciser que les membres d’un conseil d’administration du syndicat ont l’obligation d’agir avec prudence et diligence, honnêteté et loyauté, dans l’intérêt du syndicat. D’ailleurs, un syndicat de copropriété ayant utilisé son fonds de prévoyance à des fins autres que les réparations majeures, en plus de cesser de percevoir les contributions des copropriétaires pour garnir ce fonds, pendant plusieurs années, fut sévèrement sanctionné par la cour. Le jugement ordonna au syndicat de reconstituer le fonds de prévoyance, tel qu’il aurait dû l’être, selon les prescriptions de la loi.

PROBLEMATIQUE DU FONDS DE PREVOYANCE

Le fonds de prévoyance québécois est-il trop contraignant pour des copropriétaires aux ressources financières plus « modestes »?
La constitution obligatoire d’un fonds de prévoyance adéquat, répondant aux besoins particuliers de chaque immeuble, ne semble pas être trop contraignante, dans la mesure où, d’une part, les copropriétaires achètent dans une copropriété correspondant sensiblement à leur capacité de payer et, d’autre part, dans la mesure où les copropriétaires réussissent à changer la mentalité, encore répandue, qu’il faut verser des charges communes les moins chères possibles.
Certes, quel que soit le système, il se trouvera toujours des individus qui ne pourront faire face aux contributions requises, que ce soit en raison d’une perte d’emploi, d’une séparation dans le couple, etc. Mais pour atténuer le problème de contribution au fonds de prévoyance, le législateur québécois a prévu quelques mesures intéressantes.

a) le cas des immeubles à construire (vente sur plans)
Dans le cas des immeubles nouvellement bâtis ou encore à construire (vente sur plans), le législateur québécois impose aux promoteurs des obligations en matière de divulgation aux consommateurs, notamment par le biais d’une « note d’information ». Celle-ci contient, entre autres, des renseignements quant au budget prévisionnel de la copropriété, incluant les sommes à verser dans le fonds de prévoyance. Cela permet en principe aux acheteurs éventuels de mieux prendre conscience de la nécessité de pourvoir aux besoins futurs d’une copropriété.
Ces dispositions visent, du même coup, à amener les promoteurs et entrepreneurs à mieux provisionner pour les travaux futurs, dans leur budget prévisionnel. Ainsi, dans la mesure où les promoteurs procèdent correctement à l’étude du fonds de prévoyance, afin d’estimer les coûts des réparations futures et d’en planifier la réalisation, les consommateurs sont dès lors informés et plus en mesure d’évaluer si leurs ressources financières sont adéquates pour faire face aux contributions prévues pour les charges communes et le fonds de prévoyance.
b) Le cas des immeubles déjà existants
Dans le cas d’un immeuble déjà construit, le promettant acheteur devrait procéder à une vérification diligente avant de s’engager. Il bénéficie, à cet effet, d’une autre mesure de protection adoptée par le législateur québécois lui permettant de s’informer auprès du syndicat afin de connaître l’état des charges communes impayées relativement à la fraction faisant l’objet de la vente projetée. L’acheteur
n’est tenu au paiement de tels arrérages, s’il en est, que si l’état des charges dues lui est fourni par le syndicat dans les quinze jours de la demande.
Naturellement, la vérification diligente du promettant acheteur ne devrait pas se limiter à cette seule question des charges communes impayées. Il interrogera également le syndicat au sujet de :
– l’existence de cotisations spéciales votées mais non encore exigibles;
– la prévisibilité d’un déficit d’opération pour l’année courante;
– l’existence de poursuites ou de jugements prononcés contre le syndicat;
– l’existence de travaux effectués par le copropriétaire vendeur, dans la partie privative, pouvant affecter les parties communes de l’immeuble;
– la couverture d’assurance détenue par le syndicat sur tout l’immeuble;
– l’existence d’un carnet d’entretien, d’un certificat d’état de l’immeuble et d’une étude de fonds de prévoyance;
– le montant détenu par le syndicat dans le fonds de prévoyance, en vérifiant si cette somme correspond aux prévisions de l’étude du fonds de prévoyance.
Avec ces informations, même le promettant acheteur dont les revenus sont plus modestes est en mesure de faire un choix éclairé et de s’engager, ou non, dans la transaction projetée.
L’esprit de ces nouvelles dispositions du Code civil du Québec (fonds de prévoyance obligatoire, note d’information aux acheteurs potentiels) reflète un souci du législateur québécois de mieux protéger les consommateurs immobiliers, en leur fournissant des « outils » leur permettant de faire un choix plus éclairé, avant d’acheter dans une copropriété en particulier. Il leur est ainsi plus aisé de répondre à
la question : « Ai-je les moyens financiers pour acheter dans cet immeuble? ».

UN SOMMAIRE DE LA RÈGLE EN PLACE
Le fonds de prévoyance est, en somme, un « fonds consolidé » de l’ensemble des contributions versées par les copropriétaires au chapitre du fonds de prévoyance, et qui sert pour payer les travaux éventuels futurs aux parties communes de l’immeuble.
Il faut concevoir le fonds de prévoyance comme une mesure de protection de la collectivité, plutôt que de la protection des intérêts individuels des copropriétaires (bien que, de façon indirecte, la protection de la « collectivité » rejaillit sur les intérêts de chacun des copropriétaires, en protégeant leur investissement).
On peut concevoir qu’un copropriétaire qui projette de vendre son unité dans un proche avenir, ou qui l’a déjà mise en vente sur le marché, ne soit pas très enclin à contribuer en vue de financer des travaux qui n’auront lieu que dans 10, 15 ou 20 ans, selon l’étude du fonds de prévoyance. Néanmoins, il n’est aucunement du ressort des copropriétaires de décider de souscrire ou de cesser de contribuer au
fonds de prévoyance.
Ainsi, dans la mesure où le conseil d’administration remplit adéquatement son rôle et procède aux étapes requises pour rencontrer l’esprit de la législation mise en place,le fonds de prévoyance constitue un précieux outil de réussite, pour les copropriétés du Québec.

UNE ANALYSE CRITIQUE DE LA SITUATION
Dans les faits, la volonté du législateur d’obliger les syndicats à se doter d’un fonds de prévoyance « dynamique » et répondant aux besoins de chaque immeuble, ne s’est pas entièrement concrétisée de façon universelle.
On constate encore, dans la pratique, des lacunes en ce qui concerne la constitution ou l’utilisation des fonds de prévoyance, en partie en raison de l’absence de balises précises dans la législation. La législation en vigueur depuis maintenant 16 ans n’a pas vraiment réussi à faire en sorte que les sommes adéquates requises s’accumulent graduellement dans ce fonds, en fonction des besoins spécifiques de chaque immeuble.
Ainsi, faute de telles balises, plusieurs syndicats de copropriétaires gèrent encore mal le bien collectif. On ne planifie pas l’avenir et on s’en tient au strict minimum de 5 % des contributions aux charges communes mentionné à l’article 1072 C.c.Q qui s’avère nettement insuffisant, dans la plupart des cas. De plus, on considère encore parfois les sommes détenues dans le fonds de prévoyance comme un « fonds d’imprévu » ou un « fonds de dépannage », dans lequel on peut puiser en cas d’insuffisance du fonds de roulement général. Résultat : plusieurs copropriétés sont confrontées à d’importants travaux de réparation ou de
remplacement des parties communes, sans détenir les fonds nécessaires pour entreprendre de tels travaux, s’élevant parfois au-delà du million de dollars. On se retrouve, en 2010, à peu près dans la même situation qu’en 1980-1990.

UNE NOUVELLE RÉVISION DES RÈGLES EST NÉCESSAIRE
Somme toute, la Réforme de 1994 du Code civil, en ce qui a trait au fonds de prévoyance, demeure inachevée. C’est pourquoi il est préconisé une clarification des règles pour la mise en place d’un fonds de prévoyance, précisant l’obligation pour les syndicats de procéder régulièrement à une inspection de l’état de l’immeuble et à la confection d’une étude de fonds de prévoyance et d’un plan de
financement.
Il y aurait lieu, de mieux circonscrire l’obligation des syndicats en matière de mise en place d’un fonds de prévoyance, afin de répondre aux besoins spécifiques des immeubles. Pour ce faire, le législateur se devrait d’inspirer étroitement des règles en vigueur dans la province d’Ontario, comme le préconisait d’ailleurs le groupe d’experts de la copropriété, en 1982.
La législation actuelle doit être bonifiée et précisée, afin d’inclure un mode d’emploi clair, susceptible de guider les copropriétaires dans la mise en place et l’utilisation d’un fonds de prévoyance qui réponde aux besoins de chaque immeuble.
Plusieurs intervenants du milieu de la copropriété au Québec s’affairent à étudier, entre autres, ce problème. Il se pourrait donc que, dans un avenir rapproché, des mesures soient effectivement prises afin de corriger le tir et faire en sorte que tous les fonds de prévoyance répondent enfin aux besoins réels des copropriétés.
Le 16 février 2010, le Regroupement des gestionnaires et copropriétaires du Québec (www.rgcq.org), a produit auprès de la ministre de la Justice du Québec, l’Honorable Kathleen Weil, un Mémoire dans le cadre des travaux du Groupe de travail sur la copropriété mis sur pied par ce ministère à l’été 2009.
Ce Mémoire couvre l’ensemble des sujets reliés à la copropriété divise et présente, à partir de constats pratiques de la situation dans les copropriétés québécoises, des propositions visant à améliorer les règles législatives, dans le but de mieux protéger les copropriétaires et acquéreurs éventuels.
Qu’il s’agisse de l’information offerte aux copropriétaires et acquéreurs potentiels, l’administration provisoire des copropriétés, la tenue des registres et assemblées, la gestion des copropriétés ou la mise en place de fonds de prévoyance adéquats, le Mémoire (http://www.rgcq.org/index.php/rgcq/nouvelles-rgcq) soumis par le RGCQ propose diverses mesures visant à assurer une plus grande protection des intérêts des copropriétaires et de leur investissement.

Source: www.universimmo.com

Contribution spéciale de Me Yves Joli- Coeur et de Me Richard LeCouffe

Photo: A.Ossorio

One Comment on “Fonds travaux obligatoires dans les copropriétés: l'exemple du Québec.”

  1. Pingback: Copropriétés, à quand la création obligatoire des fonds de travaux?

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *